UN DIMANCHE AVEC… FRANK BRALEY
Ce dimanche matin-là, alors que vous dormiez encore du sommeil du juste, le pianiste Frank Braley avait déjà eu le temps d’atterrir à l’aéroport Charles de Gaulle, de faire un jogging au Jardin du Luxembourg, de se faire une tasse de thé (après tout, c’était l’heure du thé à Hong Kong qu’il venait de quitter) et… de nous accorder un entretien.
« Aujourd’hui, c’est un vrai dimanche », dit-il d’un air décidé. Alors, au programme : oublier que, dans une semaine, il joue un concert au Théâtre des Champs-Elysées et sortir de Paris pour humer l’air du temps.
Au saut du lit, vous…
Je ne saute pas, justement, je prends le temps de sortir de mon lit en douceur… et ensuite, je vais marcher ou courir. J’ai longtemps été un lève-tard, c’était d’ailleurs un petit conflit avec mon père qui me disait que l’avenir appartenait à ceux qui se levaient tôt. Mais c’est fini depuis que j’ai un fils. Depuis plus de 15 ans, j’ai le plaisir de voir le soleil se lever, et pas parce que je rentre d’une nuit d’exploration ou de fête !
Une chose que vous ne faites jamais le dimanche ?
De l’administratif, du secrétariat. Il y en a toujours trop.
Un rituel du dimanche ?
Au moins aller voir la couleur du ciel.
Une couleur, une odeur, un son ?
Je suis un peu influencé, car je viens de faire un jogging au Luxembourg, c’est plein de tons jaunes, rouges, mordorés… Non, curieusement, ce sera le vert, bien que ce ne soit pas ma couleur préférée ; le vert qui me fait penser à la forêt de mon enfance, près d’Etiolles, en région parisienne. L’odeur sera celle du chocolat chaud – depuis que je suis né, j’y trempe ma tartine, ça fait marrer mes amis mais c’est comme ça ! Et le son, c’est celui des cloches de l’église du village où je suis né, où habitaient mes parents, où ma mère vit encore et où mon père est enterré. J’y retourne souvent.
Le jogging : est-ce un sport ou un vêtement ?
Aucun des deux. Je ne peux pas dire que j’aime vraiment ça, mais je le fais comme une prophylaxie.
La musique du dimanche ?
La musique de la nature. Le son de la rivière de mon enfance, du vent dans les feuilles, de l’orage, des oiseaux. Et le silence.
Si dimanche était un tableau ?
Ce seraient Les Nymphéas de Claude Monet.
Famille ou amis ?
C’est un jour associé à la famille, aux racines… Aller voir ma mère, mes frères. J’ai 4 frères – mes demi-frères ont 10-15 ans de plus que moi. C’est une grande famille à la culture nord-africaine, pied noir, méditerranéenne, qui a le sens du sang et un rapport fusionnel. C’était une famille plutôt matriarcale, une grand-mère et 4 filles, qui sont donc ma mère et mes tantes : les femmes qui règnent sur cette famille et qui la nourrissent.
Avec mon fils – même si, aujourd’hui, il aime un peu moins passer le dimanche avec son père – j’allais souvent jouer au tennis, ou en forêt, ou taper une balle de golf…
La cuisine du dimanche ?
C’est le jour des gâteaux ! A chaque femme dans la famille est associée une odeur de gâteau : la tarte aux pommes et la marquise de chocolat de ma mère, le « gâteau de fête » de ma grand-mère, la brioche de ma tante…
Une lecture du dimanche ?
Il y a un livre qui me vient à l’esprit, avec ce côté nostalgique et crépusculaire du dimanche : La valse aux adieux de Kundera qui a cette couleur un peu bleutée et en même temps tendre.
Le cinéma du dimanche ?
Cela m’évoque l’enfance, un bon Louis de Funès le dimanche soir, à la télé. Je ne vais pas beaucoup au cinéma, je regarde les films surtout en avion. Un vol long-courrier de 11-12h, c’est un dimanche au carré ou au cube, on a le temps de lire un livre, de voir trois films… C’est l’une des dernières parenthèses de liberté totale, claustrale. Mais j’ai entendu qu’il y aura maintenant du wifi dans les avions !
Un souvenir d’enfance du dimanche ?
Ce ne serait pas un bon souvenir, car ce serait la veille de la rentrée des classes. Enfant, je n’aimais pas me lever le matin, c’était toujours difficile. J’aimais aller à l’école pour voir mes amis, j’étais plutôt un bon élève – disons, un bon élève paresseux. Mais être obligé de se lever le matin, en hiver… c’est pour cela que le dimanche provoque chez moi une pointe d’angoisse. D’ailleurs, je trouve toujours cela un peu inhumain lorsque je vois des enfants partir à l’école, dans la nuit, avec leur cartable sur le dos. J’ai l’impression de voir des mineurs partir à la mine, c’est antinaturel !
Le blues du dimanche soir ?
Ce que j’adore, c’est qu’il n’y a plus de lundis avec ce métier ! D’ailleurs, j’enseigne au Conservatoire de Paris depuis 3 ans, et la première année, l’un de mes cours avait lieu le lundi. Je ne l’ai pas supporté – le dimanche était redevenu la veille du retour en classe ! L’année suivante, j’ai demandé à changer de jour.
Un dimanche de rêve ?
Ce serait comme dans le film avec Andy McDowell, Un jour sans fin, un jour sans lundi, la semaine des 7 dimanches. Le temps qui s’arrête, qui devient vertical, immobile, et non plus une série de jours qui tombent l’un sur l’autre comme des dominos, qui s’absorbent, s’aspirent… ni même une semaine de vacances. Un jour hors du temps.
Si cette rencontre avait lieu le dimanche, où est-ce que vous m’auriez donné le rendez-vous ?
Ah, aujourd’hui c’est une journée splendide, alors ce serait à la buvette du parc de Luxembourg, avec une bonne écharpe.