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    Ariane et Bacchus : sur les traces d’un chef-d’œuvre de Marin Marais

    Dans le cadre de la résidence croisée du Concert Spirituel au Théâtre des Champs-Elysées avec le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), Hervé Niquet présente un opéra de Marin Marais encore inédit : Ariane et Bacchus. Des retrouvailles pour le chef d’orchestre, qui avait déjà recréé l’ultime tragédie de Marais, Sémélé, en octobre 2006, également avenue Montaigne, dans le cadre des Grandes Journées Marin Marais du CMBV.

    Marin Marais (1656-1728) : le violiste virtuose


    Portrait de Marin Marais par André Bouys (huile sur toile, 1704)

    Remis à l’honneur par le film d’Alain Corneau Tous les matins du monde (1991), Marais est une figure illustre du règne de Louis XIV. Né et mort à Paris, il se forme à la musique au sein de la Maîtrise de Saint-Germain-l’Auxerrois. Il y acquiert l’art du chant et de la composition sous la houlette de Lalande. Sa rencontre avec Sainte-Colombe, génial gambiste, marque un tournant dans sa jeune carrière : il décide alors de pratiquer la viole, instrument-roi des salons de l’aristocratie, où il se révèle d’un incroyable talent. Marais sera en effet le violiste le plus célèbre, autant par son talent d’interprète virtuose et sensible, que par son habileté à composer pour l’instrument et à en tirer des ressources insoupçonnées.

     

     

    L’art du compositeur


    Un concert chez des particuliers (anonyme français, XVIIe siècle)

    En tant que violiste, Marais se fait rapidement remarquer par le roi. Louis XIV le nomme Ordinaire de la Musique de la Chambre en 1679, titre qu’il conservera jusqu’à sa mort. Là, Marais rencontre les plus grands virtuoses de son temps. Ensemble, ils régalent le roi de suites et de sonates dans le style des « Goûts réunis », joignant manières française et italienne. Mais Marais n’est pas qu’un interprète, c’est aussi un compositeur. Pour son instrument, il publie cinq livres de pièces à une, deux et trois violes, ainsi que des sonates. L’art de Marais est raffiné et exigeant : la virtuosité, omniprésente, n’est pas une fin en soi, mais nourrit un discours musical théâtral.

     

    Un disciple de Lully à l’Opéra


    Portrait de Jean-Baptiste Lully (estampe d’après Mignard)

    C’est par l’entremise de Lully que Marais est introduit à la Cour. Séduit par ses dispositions, Lully le recrute en 1676 pour la place très prestigieuse de gambiste dans le « petit chœur » (le continuo) de l’orchestre de l’Opéra. Marais est aux premières loges pour apprécier les œuvres lyriques de ses contemporains – celles de Lully en premier lieu, mais aussi de Colasse, Desmarest ou Charpentier – et juger de leur efficacité musicale autant que théâtrale. Son charisme lui vaut de devenir ensuite « batteur de mesure » (chef d’orchestre), poste qu’il occupe à compter de 1705. C’est donc très naturellement qu’il embrasse la carrière de compositeur d’opéras.

     

    Ariane et Bacchus : un chef-d’œuvre oublié ?

     

    Ariane et Bacchus, tragédie en un prologue et cinq actes, est créée le 8 mars 1696. Trois ans plus tôt, il est assez probable que Marais n’ait été qu’un prête-nom à Louis de Lully pour Alcide. Si on retrouve la patte du compositeur dans certaines danses élaborées et dans quelques scènes, une grande partie de l’œuvre témoigne d’un style musical un peu sec sans doute redevable au fils de Lully qui ne brillait pas par son talent. Avec Ariane et Bacchus, Marais entre donc de plain-pied à l’Opéra. Pour se faire, il obtient de François Balalud de Saint-Jean un livret certes séduisant pour un musicien, mais peut-être pas si efficace pour la scène.


    Partition d’Ariane et Bacchus. Acte 1 sc. 1. (Paris, Ballard, 1696)

     

     

    Un poème lyrique à l’épreuve de la scène tragique


    Livret d’Ariane et Bacchus (Paris, Ballard, 1696)

    Le livret reprend l’épisode d’Ariane abandonnée par Thésée et recueillie par Bacchus, hérité des Métamorphoses d’Ovide (livre 8). C’est alors un sujet à la mode, où se sont illustrés notamment Thomas Corneille et Donneau de Visée. Le prologue s’inscrit dans la lignée de ceux de Quinault, avec un hommage appuyé à Louis XIV. La tragédie elle aussi respecte les codes du genre, offrant de belles situations tragiques, des divertissements contrastés et un grand appareil théâtral faisant voler les dieux sur scène. Pourtant, le poème pêche par la multiplicité des personnages, une abondance qui ne permet pas au poète de dresser un portrait psychologique abouti de chaque rôle. Saint-Jean parvient toutefois à tisser entre eux un habile réseau de relations qu’il noue et dénoue selon les règles théâtrales de la tragédie. Mais l’usage du deus ex machina, au dernier acte, paraît artificiel comme bien souvent dans ce cas. C’est pourtant un fait : à l’épreuve de la scène, le livret de Saint-Jean montra plus ses défauts que ses qualités.

    Une partition de premier plan


    Partition d’Ariane et Bacchus Sommeil, acte III, sc. 6 (Paris, Ballard, 1696)

    La partition, elle, regorge de beautés. Ariane et Bacchus se place dans le sillage de Lully : découpage, formes musicales et style général montrent le compositeur totalement imprégné des dernières partitions du Surintendant, qu’il avait jouées et rejouées dans la fosse de l’Opéra. Mais, autant qu’il lorgne vers Lully, Marais annonce Campra et Destouches, cette fameuse génération de « l’entre Lully et Rameau » dont les partitions revendiquent une nouvelle sensibilité, la mélodie, l’harmonie et l’orchestration prenant une importance accrue. Bref c’est l’époque du renversement des valeurs, plaçant la musique avant le théâtre, et octroyant à la danse une place de plus en plus grande.

    Les points forts d’Ariane et Bacchus résident dans la qualité prosodique des récitatifs et dans l’expressivité des grands récitatifs accompagnés, notamment ceux d’Ariane et de Dircée. La longue scène de sommeil est l’une des plus réussies du genre, aux côtés de ceux d’Armide de Lully et d’Issé de Destouches. L’invocation infernale du 4e acte est quant à elle très impressionnante, alternant pages virtuoses pour le ballet, et puissants chœurs homorythmiques. La chaconne du 2e acte, comme celles d’Alcyone et de Sémélé, témoigne de la maîtrise du compositeur dans l’écriture instrumentale et l’art du développement thématique.

    Si l’œuvre ne fut jamais reprise, il n’y a pourtant pas de doute que la musique ait beaucoup plu à l’époque. Campra et Danchet en réutilisent ainsi quelques scènes dans Télémaque, fragments des modernes en 1704. Plus étonnant encore, Nicolas-Antoine Bergiron, directeur de l’Opéra de Lyon, arrangea de larges extraits du 1er acte pour l’intégrer à son Hypermnestre et Lyncée, « divertissements de fragments modernes », joué le 23 avril 1746 au Concert de l’Académie de Lyon.

    Notes sur l’interprétation

    Pour rendre possible la résurrection d’Ariane et Bacchus dans les meilleures conditions, le CMBV a publié l’œuvre dans une édition critique de Silvana Scarinci et de Julien Dubruque. En confiant cet opéra à la baguette experte d’Hervé Niquet, au Concert Spirituel et aux Chantres du CMBV, l’idée était de mener un minutieux travail de performance practice, c’est-à-dire de jeu historiquement informé, respectueux des sources et des connaissances acquises par la musicologie depuis plus d’un demi-siècle concernant les pratiques artistiques de l’époque.

    L’effectif exact de l’orchestre de l’Opéra de Paris dans les années 1690 a ainsi été reconstitué (avec, notamment, un nombre important d’instruments à vent et de basses dans le tutti). On a banni le traverso, la « flûte allemande » n’étant pas spécifiée par Marais dans Ariane et Bacchus contrairement à d’autres de ses partitions. La restitution d’un petit chœur orchestral (continuo) conforme aux pratiques d’époque a été respecté : deux violons solistes jouent les ritournelles et les accompagnements en trio ; un clavecin, deux théorbes, deux violes et deux basses de violon jouent les récitatifs et les pièces vocales, mais se taisent dans les symphonies et les danses, à l’exception des ouvertures, comme le voulait la tradition à l’époque. On a également banni l’usage de la guitare (qui n’a jamais existé à l’Opéra, de même que la harpe ou l’orgue). On a prit le parti d’utiliser épisodiquement les violes du continuo comme des instruments polyphoniques, ce qu’elles étaient sans doute quoiqu’on n’en ait pas de témoignage concret : cette utilisation permet d’équilibrer le petit chœur et d’en faire une réduction exacte du grand chœur (le tutti) avec parties de dessus, parties intermédiaires et basse. L’usage des percussions se limite à quelques danses caractéristiques : rappelons qu’à l’époque, ce sont les danseurs qui en jouent, uniquement dans les scènes de processions religieuses, les fêtes marines ou les airs de bacchantes, utilisant un instrumentarium très précis (on le retrouve sur les gravures d’époque et les nombreuses maquettes de costumes conservées), qu’on a respecté.

    Benoît Dratwicki
    Centre de musique baroque de Versailles